2,08 milliards de dollars de bitcoins saisis aux États-Unis en 2022. Ce chiffre, brut, ne relève pas de la science-fiction mais du quotidien judiciaire de la planète crypto. Sous la pression, les gouvernements accélèrent, adaptent leurs lois et affûtent leurs méthodes pour ne plus laisser filer ces actifs numériques. Un terrain de jeu mouvant, où chaque acteur tente de garder un temps d’avance.
En France, la procédure de saisie pénale des crypto-actifs est entrée dans une nouvelle dimension depuis 2021. Désormais, la police et la justice ont la main pour bloquer, puis confisquer des bitcoins déposés sur des plateformes centralisées. Outre-Manche, la Economic Crime and Corporate Transparency Act 2023 a donné à la police britannique des marges de manœuvre inédites pour s’emparer d’avoirs numériques, parfois même en l’absence de condamnation pénale.
Mais le passage de la théorie à la réalité n’est jamais automatique. Pour saisir des bitcoins, encore faut-il remonter la piste jusque vers les portefeuilles ciblés et, surtout, avoir la main sur les clés privées. Ceux qui gèrent eux-mêmes leurs accès cryptographiques échappent souvent à la saisie, sauf à céder sous la contrainte ou la menace d’une faille technique. Dans cette bataille d’ingéniosité, la traque des bitcoins prend parfois des allures de jeu du chat et de la souris.
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Pourquoi le bitcoin attire l’attention des autorités
Dès son lancement par Satoshi Nakamoto, le bitcoin a déjoué les règles du jeu monétaire traditionnel. Ici, pas de banque centrale, pas d’État pour garantir la valeur, pas même de frontière à franchir. Cette monnaie sans maître intrigue, inquiète, fascine. Alors les gouvernements observent, scrutent, s’adaptent.
Ce n’est plus un phénomène marginal. Le marché crypto a changé d’échelle, et les États l’ont bien compris. Les États-Unis gardent sous scellés plus de 197 000 BTC issus de saisies. La Chine en a confisqué près de 200 000. L’Allemagne a stocké plus de 50 000 BTC lors de ses plus grands coups de filet. Face à eux, d’autres États jouent une tout autre carte : le Salvador et le Bhoutan accumulent stratégiquement leurs crypto-actifs, affichant des réserves nationales record. La France n’est pas en reste, réfléchissant à la création d’un stock de bitcoins, à l’image de ses réserves d’or gérées par la Banque de France.
Si les États s’impliquent, ce n’est pas par hasard. Encadrer le bitcoin, c’est limiter le blanchiment, éviter la fraude fiscale, contrer les circuits d’argent sale. Mais c’est également préparer le terrain pour une économie où le dollar, l’euro ou le yuan pourraient, un jour, devoir rivaliser avec ces monnaies décentralisées. L’enjeu est politique, économique, stratégique.
Les lignes bougent. Certains plaident pour intégrer le bitcoin dans les coffres nationaux, d’autres dénoncent la volatilité et l’absence de filet réglementaire. Le Fonds Monétaire International n’a pas hésité à mettre la pression sur le Salvador pour encadrer sa “Bitcoin Ley”. Au final, la question de la confiscation n’est qu’un volet d’une bataille plus large : qui gardera la main sur le futur de la monnaie ?
Peut-on vraiment confisquer des bitcoins ? Ce que dit la loi
La confiscation de bitcoins n’est plus un scénario d’anticipation. Le code de procédure pénale, retouché par la loi LOPMI, précise désormais les modalités de saisie des actifs numériques en France. Lorsqu’un juge l’ordonne, notamment pour des faits de blanchiment, la police intervient : en 2021, 611 BTC ont été saisis, puis placés sous la responsabilité de l’AGRASC, structure qui gère les avoirs saisis par la justice.
Mais tout dépend d’un détail décisif : le mode de stockage. Si les bitcoins dorment sur une plateforme centralisée, comme Kraken, les autorités peuvent geler puis transférer les fonds. Parmi les moyens utilisés, citons des exemples précis :
- Les plateformes, soumises à la réglementation, collaborent activement avec la police et la justice.
- Aux États-Unis, cette approche a permis au FBI et au DoJ de récupérer jusqu’à 127 271 BTC en 2024.
En revanche, quand quelqu’un conserve ses bitcoins sur un wallet non-custodial (Ledger, Trezor), la situation se complique. Sans accès à la clé privée, la justice reste impuissante. Même si la loi impose la remise de cette clé, l’obstacle technique demeure : sans coopération, les fonds restent hors d’atteinte.
La France n’est pas la seule à perfectionner ses techniques. Les États-Unis, la Chine et l’Allemagne procèdent régulièrement à des saisies d’envergure. La jurisprudence évolue, les dispositifs changent, mais le bitcoin, grâce à sa nature décentralisée, conserve une robustesse que la répression peine à entamer totalement.
Zoom sur les procédures de saisie en France et au Royaume-Uni
En France, la saisie d’actifs numériques est désormais bien rodée. Présente dans le code de procédure pénale et renforcée avec la loi LOPMI, elle cible en priorité les enquêtes sur le blanchiment ou la criminalité informatique. L’intervention démarre sur les plateformes centralisées, qui gèlent les avoirs à la demande des autorités, puis l’AGRASC prend la main pour la conservation ou la vente d’actifs. Rien qu’en 2021, 611 BTC se sont retrouvés sur les comptes publics, incarnation d’un appareil judiciaire prêt à affronter les défis du numérique.
Le Royaume-Uni a choisi une voie différente grâce à son Economic Crime Act. Dès la moindre suspicion sur l’origine d’un actif numérique, la National Crime Agency gèle les avoirs, parfois même sans inculpation formelle. Cette procédure, généralement plus rapide que celle de l’Hexagone, dépend toujours du stockage initial. Deux cas de figure majeurs se présentent :
- Saisie sur plateforme centralisée : la coopération des opérateurs rend le gel des fonds quasi instantané.
- Saisie sur wallet non-custodial : sans la clé privée, l’argent reste, dans les faits, inaccessible.
Alors que les fraudeurs perfectionnent leurs méthodes, la jurisprudence avance à petits pas. Les outils progressent, mais un décalage technologique subsiste toujours entre les spécialistes de la cybersécurité et les enquêteurs bien décidés à tracer les crypto-actifs.
Quels sont vos droits et les risques à connaître en tant que détenteur de crypto-monnaies
Détenir des crypto-actifs demande de composer avec un cadre légal en pleine mutation. La distinction entre wallet custodial (plateforme centralisée) et wallet non-custodial (contrôle autonome) n’est pas anodine : elle pèse sur la protection de vos droits et sur les risques encourus. Sur une plateforme, vos clés privées sont entre les mains de l’opérateur. Si une enquête est ouverte, une simple demande peut entraîner le blocage, voire la confiscation de vos avoirs. Le récent cas où Kraken a partagé les données de ses clients avec la SEC en offre une illustration saisissante.
Opter pour une maîtrise totale avec un wallet non-custodial, c’est choisir l’indépendance, mais aussi assumer la responsabilité de sa sécurité. Perdez vos clés, subissez un piratage, et vos bitcoins disparaissent à jamais, sans recours ni possibilité de restitution. Même en présence d’un mandat officiel, les autorités ne possèdent aucun moyen technique pour accéder à ces fonds sans la clé privée.
Pour y voir plus clair, gardez à l’esprit ces différences fondamentales :
- Plateforme centralisée : protection limitée, exposition immédiate en cas d’action judiciaire.
- Self-custody : totale autonomie, mais risque maximal en cas d’erreur ou de faille de sécurité.
L’encadrement légal s’aligne sur le droit commun. La saisie intervient uniquement sur décision judiciaire motivée, avec l’intervention de l’AGRASC en France. Contester une mesure de saisie relève du domaine du droit, mais la transparence propre au bitcoin complique parfois le jeu de la défense. L’ANSSI recommande la self-custody pour sa robustesse, tout en rappelant que perdre la clé revient à effacer ses avoirs à jamais. La vigilance et le respect des règles restent alors les meilleures garanties.
Dans ce duel permanent entre contrôle des États et autonomie individuelle, chaque détenteur de bitcoins devient dépositaire d’un pan de l’économie numérique encore insaisissable. La partie, loin d’être close, promet bien des rebondissements : qui, demain, détiendra la clé ?
